Faute inexcusable de l’employeur : la victime peut désormais obtenir la réparation autonome de son déficit fonctionnel permanent



Cour de cassation, assemblée plénière, 20 janvier 2023, Pourvois n° 21-23.947 et n°20-23.673

La victime d’un accident du travail qui conserve une incapacité permanente, évaluée par le médecin, a le droit à une indemnité versée sous forme de capital ou de rente, communément appelée « rente AT ».

Lorsque cet accident du travail est consécutif à la faute inexcusable de son employeur, l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale autorise la victime à demander, devant les juges, outre la majoration de cette rente, l’indemnisation de ses souffrances physiques et morales, son préjudice esthétique et d’agrément, ainsi que de son préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités promotionnelles.

En outre, la victime peut également demander l’indemnisation des préjudices non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale, à savoir le déficit fonctionnel temporaire (Cass. 2e civ., 7 mai 2014, n° 12-23.962), le préjudice sexuel (Cass. 2e civ., 28 juin 2012, n° 11-16.120), le préjudice d’établissement (Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n° 15-27.523), l’aménagement de son logement ou de son véhicule, ainsi que les frais de tierce personne temporaire.

En revanche, compte tenu du principe de la réparation sans perte ni profit, qui empêche la victime d’être indemnisée deux fois pour un même poste de préjudice, la Cour de cassation considérait, depuis longue date, que la victime ne pouvait pas demander l’indemnisation, de façon autonome, de son préjudice fonctionnel permanent, et notamment des souffrances physiques et morales endurées après la consolidation.

Selon elle, ce poste de préjudice était déjà indemnisé au titre de « la rente AT » versée par l’organisme social (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 97 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).

C’est sur cette position que la Cour de cassation est revenue à l’occasion de deux décisions rendues le 20 janvier 2023, dans le contexte de victimes exposées à l’amiante.

La Cour de Cassation considère désormais que la rente AT ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Par conséquent, et à compter de ce jour, les victimes d’accidents du travail imputables à la faute inexcusable de l’employeur pourront obtenir la réparation autonome de leur déficit fonctionnel permanent, et ainsi percevoir une indemnisation complémentaire des souffrances physiques et morales endurées après la consolidation de leur état.



Extrait de la décision :

5. Selon l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L. 452-2 du même code, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

6. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 97 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).

7. Elle n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48).

8. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

9. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

10. Enfin, le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et que dès lors le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065).

11. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

12. Après avoir énoncé à bon droit que la rente versée à la victime, eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de cette dernière le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, n'avait ni pour objet ni pour finalité l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l'article L. 452-3 du même code et qu'une telle indemnisation n'était pas subordonnée à une condition tirée de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a exactement décidé que les souffrances physiques et morales de la victime pouvaient être indemnisées.